Comment accueillir un enfant différent à l’école
Entretien avec Virginie (institutrice) et Marine (AESH) sur l’accueil d’un enfant porteur de trisomie 21 / Témoignage, partage d’expérience et conseils pour l’équipe éducative.
Quel serait votre premier conseil à une équipe qui accueille un enfant porteur de handicap dans une école ?
Virginie : Il me semble que la chose la plus essentielle, c’est que lorsqu’on accueille un enfant différent, au fond de soi il faut être “OK”. L’accueil personnel dans notre cœur doit être inconditionnel.
On doit être pleinement d’accord avec le fait de devoir proposer des aménagements et les expliquer aux autres enfants, de devoir comprendre et inclure sa différence.
Etant donné qu’on n’a aucune formation, il faut aussi bien être conscient qu’accueillir un enfant différent demande un grand investissement personnel si on veut que cela fonctionne.
La réalité aujourd’hui c’est que le champ du handicap est large et que nous (instituteurs) ne sommes pas formés à ça.
Quand le directeur d’une école reçoit la demande d’une famille pour son enfant porteur de handicap, il doit en discuter en équipe avec des questions précises : qu’en pensez-vous ? Que met-on en place ? Est-ce que tout le monde est d’accord ?
Marine : En tant qu’AESH, j’ai été formée sur les particularités dys / troubles de l’opposition / TDA. En revanche, quand on reçoit un enfant avec une autre particularité - je n’ai reçu aucune formation sur la trisomie 21 par exemple -, cela nous demande à nous aussi d’aller nous renseigner et de nous former, à notre initiative.
Il faut que l’AESH se sente en capacité d’accueillir cet enfant. L’accueil ne sera pas le même si la situation a été au départ choisie ou imposée. Pour l’AESH, tout se joue dans la relation que l’on crée avec l’enfant dont on s’occupe, donc cela demande en amont de bien se connaître, de s’écouter et de dire si l’on se sent capable. Et nous sommes en droit de dire oui ou non.
Virginie : J’encourage les enseignants à rencontrer la famille en amont, afin d’avoir un premier contact avec l’enfant avant qu’il n’arrive dans la classe et commencer à découvrir sa particularité. Vous devez découvrir comment est l’enfant, comment il va, quel suivi médical/paramédical il a …
L'accueil de l’enfant va dépendre de la sensibilité de l’enseignante et de sa communication, donc beaucoup de choses se jouent entre ses mains.
Par exemple, lorsqu’on a accueilli Adam, on a souhaité connaître d’abord son histoire et on a demandé à la famille s’ils acceptaient de nous donner les contacts des professionnels de santé qui le suivaient. Le but étant qu’on soit tous en lien, qu’ils puissent nous transmettre leurs recommandations ou éventuellement les bilans effectués... Mais attention, l’école n’a en aucun cas à être intrusive : tout ceci ne vaut que si et seulement si la famille est d’accord.
De même, l’établissement scolaire ne peut obliger une famille à faire des bilans - chaque famille reste libre - mais se doit de prendre soin les uns des autres dans la communication.
Et évidemment, plus il y a de transparence, plus on fonctionne en équipe autour de l’enfant, et plus c’est bénéfique pour lui.
Marine : Concernant la posture de l’AESH avec la famille, pour rappel : l’AESH s’occupe de l’enfant dans le travail du quotidien, alors que l’enseignant est le garant de cet accompagnement et est en lien direct avec la famille.
Virginie : Par exemple dans le cas d’Adam, je donne à Marine le travail à faire avec Adam. Nous avons en amont un dialogue nécessaire et essentiel entre nous pour le bien-être de l’enfant.
Autre conseil : je propose à Marine des temps de travail en dehors de la classe pour mettre en place des ateliers ou des nouvelles choses pour Adam.
Marine : de mon côté je me sens libre de suggérer à Virginie des manières de travailler avec Adam ou des améliorations, étant donné que j’ai un lien étroit au quotidien avec lui et que je le connais bien.
Quelles sont vos recommandations sur la posture à avoir avec la famille ?
Virginie : selon moi, les temps de rencontre avec les familles sont primordiales. Dans la pratique, comme je souhaite rencontrer toutes les familles, j’ajoute des heures supplémentaires à mon temps de travail : par exemple une rencontre tous les 2 ou 3 mois avec la famille d’Adam. Évidemment ce sont des heures de bénévolat, du temps que j’offre aux enfants et aux familles, et en même temps ça me parait tellement essentiel pour prendre soin du lien.
Si le but est que ça se passe bien avec une famille qui a un enfant différent, on est obligés de s’investir et d’offrir du temps pour que le triangle école-enfant-famille fonctionne correctement.
Et je propose toujours à Marine de venir à ces rencontres, pour qu’elle soit pleinement incluse dans les discussions de travail et dans le lien avec la famille.
Marine : La famille doit savoir qu’elle peut rencontrer l’enseignante ET l’AESH. Les AESH ont des heures pour préparer ce genre de réunions donc c’est tout à fait possible et on est en général demandeurs!
Comment expliquez-vous la différence d’Adam à la classe ?
Virginie : J’ai fait le choix de la transparence avec les enfants très rapidement. Voici ma posture : avant d'accueillir un enfant “porteur de trisomie 21”, on accueille d’abord et simplement un enfant.
On a parlé rapidement de la trisomie 21 avec les élèves, qui avaient des questions très concrètes comme “c’est quoi sa différence ?”.
Je leur explique qu’il a besoin d’avoir une aide humaine, qu’il a besoin de plus de temps et d’avoir sa place attitrée dans la classe (car cela le sécurise). Et une fois qu’on explique ça aux enfants, ils l’acceptent et le lien est beaucoup plus sain et fluide.
Et moi-même je me rappelle qu'au-delà de sa particularité, c’est un adulte en devenir, comme les autres.
Quand j’accueille un enfant porteur de trisomie 21, je sais qu’il va avoir besoin de temps et de manipulation, mais je sais aussi qu’il va y arriver.
Je voudrais dire aussi que c’est une chance incroyable pour une école d’accueillir un enfant différent : c’est un cadeau d’inclusion pour tous!
Si l’adulte accepte, si les parents acceptent, les enfants le sentiront et l’enfant porteur de handicap se sentira bien
Car les élèves nous suivent dans tout ce qu’on fait. Si on dit “cet enfant est insupportable”, les enfants de la classe diront pareil. Si au contraire, en tant qu’enseignant, on encourage l’enfant différent, les autres enfants de la classe l'encouragent aussi, et c’est magnifique à voir.
Nous adultes transmettons aux enfants la volonté d’accueillir un enfant différent.
Et avec les autres familles de la classe et de l’école ?
Virginie : Pendant la réunion de classe de début d’année, je présente l’ATSEM et l’AESH qui travaillent avec moi dans la classe. Je choisis toujours d’expliquer en toute transparence aux parents la présence d’un enfant porteur de trisomie 21 dans la classe, sans rentrer dans les détails.
Je me tiens en revanche prête à répondre aux questions, mais je ne souhaite pas que ce soit l’unique préoccupation de la réunion (il est le bienvenu comme un autre enfant). Dans la mesure où c’est un handicap visible, on le nomme mais ne reste pas dessus des heures.
Je témoigne aux parents qu’en tant que maîtresse je suis heureuse de l'accueillir, mais leur rappelle qu’ils doivent se sentir libres de venir me parler si à un moment c’est difficile pour leur enfant.
De manière générale, nous fonctionnons en équipe. Je suis en binôme avec l’AESH, et les jours où c’est plus challengeant, on se soutient et on compte l’une sur l’autre.
Notre direction nous apporte aussi un soutien : dans les jours les plus difficiles, nous pouvons toujours nous adresser à elle en toute liberté.
C’est aussi indispensable que la direction s’intéresse aux enseignants et prennent soin d’eux. La relation ne fonctionne pas que dans un sens.
Car on a un métier sans pause : les récréations ne sont pas des moments de pause, l’heure du déjeuner n’est pas une pause non plus, et la direction a donc un rôle à jouer dans l’attention portée à son équipe surtout dans les périodes éprouvantes.
Quels conseils donneriez-vous concrètement pour le travail à mettre en place pour un enfant porteur de trisomie 21 ?
Virginie : Il va falloir répéter, répéter et encore répéter.
Je pense que, pour la trisomie 21, la vraie différence avec les autres est la déficience mentale. Nous avons donc mis en place un accompagnement par la répétition et le déclic.
Dans le cas d’Adam par exemple, je lui laisse le matériel plus longtemps, pour qu’il puisse manipuler beaucoup.
Le déclic de la lecture est venu après avoir écouté les autres travailler les syllabes, puis répété lui-même. Idem pour le dénombrement.
Les enfants porteurs de trisomie 21 ont aussi besoin d’un repère dans l’espace : le groupe est une épreuve pour eux. Pour Adam, on a privilégié les places près des murs que ce soit dans la cour ou pour la sieste.
Je l’ai aussi gardé dans ma classe de petite section et de moyenne section, toujours avec Marine, ce qui lui a permis d’avoir la même maîtresse et la même AESH pendant 2 ans, ce qui a été un repère très sécurisant pour lui.
L’instauration du cadre est OBLIGATOIRE :
Nous avons mis en place des rituels bien établis.
Adam a son programme de journée avec des pictogrammes en scratch, il a le cadre visuel qui construit sa journée.
On a aussi mis en place des carte picto “avec aide” ou carte “sans aide” - S’il est en capacité de faire seul on le laisse faire un atelier très facile pour qu’il comprenne qu’il peut faire seul - L’AESH est juste à côté s’occupe d’un autre enfant mais est à côté pour le rassurer mais le laisser faire seul.
Les pictogrammes sont aussi d’une grande aide pour la communication car la plupart des porteurs de trisomie 21 sont très visuels. Un exemple concret : comme Adam a tendance à pousser les autres pour montrer qu’il existe, Virginie lui a fabriqué un pictogramme “stop pousser”, beaucoup plus facile à comprendre que de longs discours qui peuvent au contraire l’embrouiller.
Je fais aussi attention au cadre renforçateur : la récompense fonctionne. Posez-vous les questions : Qu’est-ce qui fait avancer l’enfant ? Qu’aime-t-il ?
Par exemple, si l’enfant finit l’exercice, c’est bien, il peut avoir son temps pour le renforçateur (en l'occurrence pour Adam : consulter son album photo ou jouer à ses petits jeux favoris).
En petite section, c’était trop difficile pour Adam de rester assis longtemps, alors on a instauré les petites promenades. L’AESH sort avec lui, il va dire bonjour à la directrice et au personnel de la cantine, car sortir lui fait du bien.
Il faut laisser des temps de repos, c’est essentiel.
Il faut bien prendre conscience que l’inclusion demande à ces enfants-là de s’adapter en permanence : c’est donc à nous de prendre en compte la fatigabilité de l’enfant.
Et chez Adam par exemple, sa fatigue se manifeste par le fait de pousser.
Un autre cadre est essentiel à instaurer, celui de la fermeté bienveillante. Lorsqu’on accueille un enfant handicapé dans une classe, on doit proposer un cadre sécurisant et de fermeté bienveillante pour tous les enfants.
Les enfants handicapés, même s’ils ont une déficience intellectuelle, sont appelés comme tous les autres enfants à honorer les règles, afin qu’ils apprennent à bien grandir en société plus tard. On doit donc avoir la même exigence avec eux qu’avec les autres enfants.
Le “non” et le “stop” est pareil pour Adam que les autres.
Il est vrai qu’on ne reprend pas de la même manière un enfant qui a une déficience intellectuelle d’un enfant “ordinaire”, néanmoins il faut le reprendre sinon ça peut devenir l’anarchie.
Chaque enseignante fait sa propre pédagogie en respectant la compétence ministérielle. Nous avons notre propre organisation de classe. Notre métier est de sécuriser d’un point de vue physique et émotionnel chaque enfant.
L’exigence est donc essentielle. On a pas tous le même seuil de tolérance face au bazar dans une classe, d’autant plus avec un enfant porteur de handicap 😜
L’enseignante doit être capable de demander à l’AESH comment elle se sent et s’il elle a besoin d’être relayée, ou d’oser demander de l’aide. Car certains jours sont plus difficiles que d’autres.
L’enseignante doit aussi pouvoir s’occuper elle-même parfois de l’enfant porteur de handicap, et donner l’opportunité d’une belle relation entre l’AESH et le reste de la classe.
Cet accompagnement demande donc beaucoup de patience. Il n’y a pas de fatalité et ne surtout jamais dire que l’enfant ne sera pas capable. Il pourra y arriver mais, oui, il faudra persévérer.
CONCLUSION
Virginie : Pour conclure, je vous dirais que le plus important c’est ÊTRE OK humainement dans son coeur, et se sentir de l’accueillir professionnellement, à savoir de trouver des solutions et des aménagements pour lui. On doit également, avoir l’envie de partager cette expérience de l’accueil de cet enfant différent avec la classe.
Marine : Moi je vous dirais qu’il faut être à l’écoute. Prendre soin du dialogue avec la maîtresse et avec la famille. Mon métier, ce n’est que du bonheur, et chaque soir je me couche en me disant “comme mon métier a du sens !”. Ne doutez pas de votre travail d’AESH !
TIPS : En petite section, crayons cailloux / pinceaux feutres / ciseaux ergonomiques (selon l’enfant).